Blah, blah et bol d'air frais...
Il y a du nouveau dans le cinéma français, c'est chose sure aujourd'hui. L'émergence de nouveaux réalisateurs aux films intimistes mais profondément générationnels, nous offre une bulle d'air vivifiante et bienvenue.
Sorte de mouvement commencé, peut-être, par le très délicat La Naissance des pieuvres de Céline Sciamma en 2007, cette année on découvre trois nouveaux premiers films qui rentrerait dans cette même "catégorie".
Simon Werner a disparu de Patrice Gobert, La Vie au Ranch de Sophie Letourneur, et Belle épine de Rebecca Zlotowski, tous trois présentés durant la 63ème édition du Festival de Cannes.
Mais attardons-nous aujourd’hui sur La Vie au Ranch.
La Vie au Ranch est d’une simplicité et d’un naturel impressionnant, il est certes bruyant mais se crée et se compose dans le vrai.
Film choral par excellence, la parole y est centrale. C’est ce qui lui doit sa comparaison avec les films américains nés de la tribu de Judd Apatow (comme ici chez Isabelle Reignier). Les discussions s’enchaînent comme une partition rythmique qu’il est des fois difficile de suivre mais souvent très drôle à entendre.
You look like a baby prostitute extrait de La Vie au ranch
Le film tire son naturel dans la façon dont il a été conçu et petit à petit se construit. Cette sensation de vérité tient dans la technique de composition du film mais surtout dans le scénario. Le groupe d’acteurs non professionnels, a été mis en situation d’improvisation et le dialogue a ensuite été tiré et manipulé en fonction des expressions et de la façon de parler de chacun. En plus d’utiliser leurs propres mots, les actrices sont dans leur environnement, dans des lieux qu’elles connaissent intimement et les liens entre elles-mêmes ne sont pas forcés par les besoins du tournage mais réellement existants (certaines se connaissent depuis la maternelle).
Outre la thématique du groupe et la vie étudiante, il est question d’identité, ou, comment trouver sa place dans le monde : doit-on se détacher du groupe pour faire exister et évoluer sa propre personnalité?
Le film se découpe en trois parties distinctes et retrace un morceau de vie dans un groupe post-adolescent. Le premier temps du film est le plus long, il plonge le spectateur « comme dans une mêlée de rugby » à l’intérieur du groupe et de sa vie quotidienne où les conversations à tout va vous basculent pour un temps dans le monde abyssale de l’étudiant…-diant-diant. Enchaînements de fêtes, de réveils difficiles, de longues soirées, de rencontres, d’engueulades et discussions…
Puis plus calme nous voici à la campagne où le groupe face au silence ne sait plus comment réagir face aux comportements de certaines.
Enfin c’est dans l’isolement que se termine le film, plus de ranch, mais des valises…
Une évolution vers l’indépendance douce amère de la construction de soi.
Ce film générationnel ne se défini pas ou ne pointe en aucun cas vers des notions politiques et ou une critique de la situation des jeunes d’aujourd’hui. Il montre juste un petit bout de vie, une brisure qui conduit au changement et à l’âge adulte. Il montre ce que chacun de nous connaît.
Le texte tiré de la réalité, en plus de paraître ultra naturel, est donc, également violent, cru, sincère, drôle et touchant. C’est aussi ici que l’on peut faire le lien avec les nouvelles comédies américaines douces amères inventées par Apatow. Pas de censure ou de remontage politiquement correcte de la vie de tous les jours, on montre le vrai sans avoir peur de la vulgarité qui existe au quotidien. On ne reconstruit pas l’époque, on l’assume. Dans La Vie au Ranch, on picole, on parle, on crie, on critique, on fume, on s’engueule et on pisse entre deux voitures, bref, on vit.
Pipi Room Party extrait de La Vie au ranch
À la fois très nouveau et familier ce petit film sans prétention se laisse regarder comme on déguste un bon petit bonbon.
Enfin et en commun avec La Naissance des Pieuvres ou le plus récent Belle Épine, le film de Sophie Letourneur place la femme ou jeune fille au centre, non pas comme objet désir mais comme sujet même du film et de l’histoire, dans la tradition des vrais « Chick-flick ». Chicks, c’est d’ailleurs le titre pour la diffusion anglophone du film… Doesn't this feel good ?!